Jean Perdijon (Grenoble)
L'homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre ;
Les formes de la nuit vont et viennent dans l'ombre ;
Et nous, pâles, nous contemplons.
Victor Hugo (Les contemplations)
La cosmologie est l'étude de la structure à grande échelle d'un certain objet : l'Univers physique. Mais l'entreprise cosmologique souffre de trois sortes de limite (voir figure) :
(1) du point de vue ontologique, l'objet est unique, par définition,
(2) d'un point de vue épistémologique, nous ne pouvons observer que de l'intérieur, depuis un seul événement de l'espace-temps, et la région visible est limitée par la vitesse de la lumière,
(3) d'un point de vue méthodologique, nous sommes réduits à généraliser notre physique terrestre.
Enfin, son implication directe dans notre condition humaine la rend très sensible à toute idéologie métaphysique.
Lorsqu'on fait un tour d'horizon des objets de nos mesures, ils semblent tenir à l'intérieur d'une fenêtre ouverte dans l'échelle des masses et des densités (voir figure). Certes, l'horizon est barré par la ligne dans le coin à droite : c'est le domaine correspondant aux trous noirs. Remarquons aussi que, du côté des grandes échelles, il est difficile de dire où se situe précisément l'Ensemble contenant tous ces objets et, du côté des petites échelles, on ne sait pas très bien où mettre l'électron, dont on ne connaît pas le rayon, et encore moins le photon dont la masse serait nulle. Rappelons enfin qu'une mesure est une interaction et qu'il est donc difficile de connaître des particules qui se lient trop, comme les quarks, ou qui ne se lient pas assez, comme les neutrinos et les gravitons.
Si le plateau des courbes de rotation des galaxies se prolonge, c'est que le fluide cosmique se modifie sous l'effet de l'expansion au fur et à mesure qu'on s'éloigne du noyau : son coefficient d'état gamma passe progressivement de 1 à 2/3, ce qui correspond au passage d'un nuage de poussières (pression nulle) à un trou noir (masse proportionnelle au rayon). Cela impliquerait une continuité vers un univers-trou noir. Ce raisonnement se rapproche de la théorie MOND qui remplace une gravitation en 1/r² par 1/r, mais sans son côté ad hoc.
Prenons pour l'Univers actuel un âge de 15 milliards d'années, une expansion à la vitesse c de la lumière et une densité critique égale à 10 puissance moins 26 kilogramme par mètre cube. On en tire un rayon gravitationnel légèrement supérieur au rayon d'Univers R. Notre Univers serait donc situé à l'intérieur de son rayon gravitationnel r. On peut donc dire que nous sommes actuellement dans un gigantesque trou noir. Or la masse d'un trou noir est proportionnelle à son rayon. En assimilant R avec r, on obtient une densité qui, multipliée par le carré du rayon, a une valeur constante Q = 3c²/8(pi)G (G, constante de gravitation).
Supposons maintenant que notre Univers est et a toujours été un trou noir. Nous allons utiliser l'approximation de la courbure nulle. Le produit de la densité par le carré du rayon a donc toujours gardé la même valeur Q et il suffit de porter cette quantité dans l'approximation newtonienne pour obtenir une vitesse d'expansion égale à c, d'où une accélération qui est nulle et non plus négative comme dans la théorie classique du big bang. Ainsi l'expansion se ferait à une vitesse constante et ce qu'on entend habituellement par "âge de l'Univers" serait exactement égal au temps de Hubble. On se rapproche des nouvelles observations qui suggèrent une légère accélération de l'expansion, ce qui a conduit à l'hypothèse controversée d'une certaine énergie sombre. En portant cette fois la quantité Q dans l'équation d'évolution adiabatique, on en tire une pression de radiation qui serait négative, avec un coefficient de 2/3 dans l'équation d'état du fluide cosmique. Ainsi la pression de radiation serait entretenue par un apport constant de masse sous forme de rayonnement.
On a un rayon R proportionnel au temps et une densité de matière inversement proportionnelle au carré du rayon. Le produit du rayon par la température absolue est constant comme dans le modèle classique ; la température est donc inversement proportionnelle au temps. En résumé, on obtient un scénario très voisin du scénario habituel, avec cependant une expansion et un refroidissement un peu plus rapides, ce qui ne change pas fondamentalement l'explication du décalage spectral, du fond cosmologique à 3 K et de la nucléosynthèse primordiale. Cependant, au début quand le rayon est nul, la masse est également nulle, ce qui supprime le problème de la singularité. L'Univers serait un trou noir dont l'espace-temps enflerait à la vitesse c, au fur et à mesure qu'il absorberait une pression de radiation venant de ce qu'on pourrait appeler un "éther" extérieur.
Voilà un modèle qui allie explosion primordiale, comme le big bang, et création continue, comme l'univers stationnaire. Il possède les capacités de l'un pour expliquer décalage spectral, rayonnement cosmologique et nucléosynthèse, et l'avantage de l'autre pour éviter la difficulté d'une singularité initiale. Enfin il conduit à un âge plus conforme à celui des plus vieilles étoiles observées. Il suppose cependant l'existence d'un éther extérieur par rapport auquel se développerait à vitesse constante notre espace-temps... et peut-être d'autres bulles enflant comme la nôtre dans un multivers.
Référence : J. Perdijon, "L'Univers comme expérience de pensée", Editions Matériologiques, 2023.